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mais aussi bien, prenant acte de ce qu'une parenthèse efface
ou suspend :
« Qu'est-ce qu'un titre comme fausse monnaie? »
La première division en engendre une série d'autres, qu'elle
porte en germe. Retenons ces figures génératives ou généalo-
giques. Une sorte de scissiparité comporte ce qu'elle engendre
comme des gènes emboîtés, quasiment à l'infini. Double, le
titre nomme à la fois la « chose » (la fausse monnaie comme
chose) et le récit de l'histoire, et même l'acte narratif (la
narration) du récit de l'histoire. Or la « chose » en question, la
chose thématisée, l'objet de la narration défini comme fausse
monnaie, ce n'est pas une chose comme une autre, précisément,
au sens étroitement déterminé de chose; c'est « quelque chose »
comme un signe, et même un faux signe, ou plutôt un vrai
signe à fausse valeur, un signe dont le signifié semble (mais
c'est toute l'histoire) ne correspondre ou n'équivaloir finalement
à rien, un signe fictif et sans signification assurée, un simulacre,
le double d'un signe ou d'un signifiant. Ensuite, le deuxième
référent du titre, le récit, c'est un récit qui se donne pour fictif.
De la part de l'auteur, en tout cas, et sous le nom de littérature,
mais non de la part du narrateur. C'est donc une fiction dont
121
Donner le temps
le sujet est une monnaie fictive, une fiction de fiction, et si la
fiction racontée dit (si elle donne à penser par figuration emblé-
matique ou métonymique mais aussi réflexive ou spéculaire) la
fiction narrative elle-même, la spéculation n'en finit plus.
Selon le droit civil de la propriété des Suvres littéraires, la
fiction est attribuée à son signataire, Baudelaire, et intitulée par
lui. Or en raison et en vertu du même droit le droit dit
d'auteur , cette fiction place le récit non pas dans la bouche,
sous la plume et sous la responsabilité de l'auteur, mais bien
entendu du narrateur. Celui-ci est lui-même fictif : c'est une
fiction de l'auteur; et le discours du narrateur, son récit, ses
délibérations, les conclusions de sa délibération (quant à savoir
notamment s'il peut pardonner à son ami qui a donné de la
fausse monnaie à un mendiant), nous devons toujours supposer
que Baudelaire ne les assume pas nécessairement en droit : il
ne les prend pas pour argent comptant. Pas plus que nous,
répétons-le. Le récit (fictif) est en droit produit par le narrateur
fictif; mais comme le narrateur, le récit n'est fictif qu'entre
Baudelaire et nous, si on peut dire, car le narrateur fictif produit
son récit comme récit vrai, et c'est en cela que consiste la fiction
- ou le simulacre produit par l'auteur. C'est ce qu'elle semble
partager avec le phénomène de la fausse monnaie (faire passer
une fiction pour « vraie »). Mais comme la convention nous le
permet, nous savons, Baudelaire et nous, les lecteurs, que cette
fiction est une fiction, il n'y a là aucun phénomène de « fausse
monnaie », c'est-à-dire d'abus de confiance faisant passer le
faux pour vrai. Il reste que la possibilité de la fausse monnaie,
la possibilité de l' de fausse monnaie, partage la même
effet
condition générale : faire passer une fiction pour « vraie ». La
malhonnêteté ou le délit n'ont, certes, pas de place en littérature,
dans le « dedans » du phénomène littéraire délimité en ses
bordures par des conventions. Baudelaire ne ment pas, il ne
nous trompe pas. Hors de la littérature, mais dans la vie telle
qu'elle est représentée, imaginée, racontée en une fiction comme
122
Poétique du tabac
La fausse monnaie, la faute morale ou le délit impliquent le
mensonge, l'intention de tromper, donc le savoir, de la part de
l'agent émetteur ou du contrefacteur seuls, à l'exclusion du
receveur et des « dupes » (du mendiant, par exemple, ou du
narrateur jusqu'à l'aveu de son ami et, à l'extérieur du récit,
dans un espace hétérogène, du côté du lecteur, du moins jusqu'à
ce même aveu; mais le lecteur n'est pas « trompé » ou « dupe »
au même sens que le narrateur : en vérité son non-savoir n'est
pas de l'ordre de l'être-trompé; c'est l'expérience d'un secret
sans profondeur, d'un secret sans secret sur laquelle nous revien-
drons en conclusion).
Considérons maintenant ce récit. Vraiment fictif, mais pro-
duit comme récit vrai par le narrateur fictif dans la fiction signée
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